un texte de steve bourdeauUne chose est sûre, on grimpe tous parce qu’on en retire quelque chose, et il y a probablement autant de raisons valables de grimper qu’il y a de grimpeurs. Je trouve quand même ça intéressant d’y réfléchir une fois de temps en temps, d’essayer de mieux comprendre ma relation avec une activité qui occupe toujours une place importante dans ma vie, et qui a souvent contribué à y donner un sens. Ça peut sembler étrange de parler de familiarité et de réconfort quand on pense à l’escalade. D’ordinaire on associe plutôt l’activité avec l’aventure, l’inconnu, l’extrême, l’adrénaline. On est des « alpinisss » après tout, des conquérants au bord du précipice! Pourtant, pour moi, le côté vieille pantoufle de la grimpe est un de ses aspects les plus essentiels. Je vous offre quelques exemples en guise d’explication. Flesh for Lulu, c’est une ligne classique dans le secteur Meadows à Rumney, dans le New Hampshire, et c’est la première voie relativement « difficile » que j’ai essayée—ça devait être en 2000 ou en 2001— quand j’en étais encore à mes premières armes comme grimpeur. Je me rappelle à quel point j’étais intimidé devant la ligne pure et directe qui s’attaque à la plus haute section de la paroi. J’avais pris mon temps à négocier la première moitié plus modérée, en serrant chaque petite prise à m’en blanchir les jointures, peu importe la facilité des mouvements que j’avais à faire, ou l’immensité des prises de pied qui me gardaient solidement en équilibre sur le mur. Je m’étais même pris quelques chutes sous le petit toit à mi-hauteur, ne sachant pas que j’étais encore loin des réelles difficultés de la voie. Après avoir tâté les minuscules crimps au début du crux au dessus, j’étais redescendu, défait, mais fier de mis être mesuré. Finalement, un sympathique vétéran local qui passait dans le coin avait remarqué ma corde qui pendait encore du milieu de la voie comme un drapeau en berne et avait gracieusement offert d’aller récupérer mes dégaines. Vous pourriez penser que je l’ai laissé en jachère pendant une décennie, le temps de faire mes grades, ou au contraire que je m’en suis rapidement fait un projet, que je me suis entrainé avec rigueur et discipline (avec des tounes de Rocky 4 en background), tout en apprenant chaque détail de la voie, en faisant attention à ce que chaque mouvement soit méthodique et précis, jusqu’à ce qu’un beau jour, avec les conditions parfaites… mais non, loin de là. En fait, j’ai dû grimper Flesh for Lulu plus d’une vingtaine de fois, répartis sur une bonne douzaine d’années, avant d’en venir à bout. Tranquillement je me suis familiarisé avec la texture du rocher, avec la position, les points de vue, les moments de repos, les mouvements de forces, ceux plus techniques. D’une saison à l’autre je me rappelais jamais exactement de la séquence que j’avais utilisé la saison précédente pour passer le crux, mais ça me dérangeait pas. Chaque fois que je m’encordais à la base de Flesh, je ressentais une nervosité qui était familière, et étrangement réconfortante. Quand je l’ai finalement enchainée en 2012, après deux ou trois essais consécutifs, le sentiment était ambigu. D’un côté il y avait évidemment la vague d’endorphine qui accompagne toujours le send, le précieux sentiment d’accomplissement, parfois même de dépassement qu’on ressent en redescendant, mais en même temps, j’avais comme une drôle de conviction derrière la tête, le feeling que ma relation avec ce bout de roche-là était plus profond qu’une simple histoire d’enchainement sans chute. Encore aujourd’hui, pendant mes pèlerinages saisonniers vers Rumney, je ressens toujours une attirance pour Flesh for Lulu, et chaque fois que j’ai l’opportunité d’y donner un petit « burn », c’est comme retrouver un vieux chum que j’ai pas vu depuis longtemps, mais qui n’a pas changé du tout. Même si c’est mon désir d’aventure qui m’a mené vers les montagnes quand j’étais jeune, c’est le sentiment de familiarité avec la paroi, avec le rocher, avec la nature en général qui a donné un sens plus profond à ma pratique de l’escalade. Petite tranche de vie : on se pointe dans le stationnement de la Montagne du Tranchant tôt le matin pour une petite session de grimpe qui se terminera vers midi, juste avant que le soleil à son zénith vire l’escarpement noir en coulée de lave. On est les premiers arrivés à la paroi. La fraîcheur du matin est bonne à respirer. Le bas de la falaise à l’air encore un peu humide de rosée. Sans rien dire on se dirige vers Pensée magique, notre réchauffement de prédilection depuis je sais plus combien d’années (depuis que Jean-Claude Néolet l’a ouverte probablement). Pendant que mon partner vrac la corde, je m’organise une douzaine de dégaines autour du harnais, j’enfile mes varappes, je dépose mes mains sur la tablette de départ, et après un bref échange de regards—le nœud, le gri-gri—je me tire vers le haut. Les premiers dix mètres de Pensée magique sont faciles, et je place ma première dégaine autour de la quatrième plaquette. Chaque prise, chaque position, chaque séquence est familière. Mon corps s’en souvient autant que mon esprit, et tout devient instinctuel. Des fois, je continu de jaser avec mon partner en bas et je me retrouve au relais trop rapidement. D’autre fois je ralentis, je laisse aller mes sens, je m’ancre solidement dans le proverbial moment présent. En psychologie on parle beaucoup de flow, pour décrire cet état-là. Un moment de pure absorption dans une activité, alors que le corps et l’esprit partage un but commun, et s’exécute en parfaite harmonie. Le flow c’est de se laisser aller dans le mouvement et de s’oublier, tout en faisant confiance à son pilote interne. J’ai toujours trouvé que c’est quand je réussi à m’oublier un peu que je finis par mieux me retrouver. C’est con quand on le dit de même, mais il y a un fond de vrai là-dedans. Ces idées-là me ramène toujours au même constat : La permanence du rocher… La vie change, les enfants grandissent, la barbe grisonne, les imprévus de la vie nous déstabilisent, mais à travers tout ça, le rocher demeure. Il perd peut-être une couple de cailloux chaque printemps, mais essentiellement le rocher reste pareil, et sera identique même quand j’irai plus. Il y a quelque chose de rassurant là-dedans, de savoir que même si ça va mal par boute, que même si la vie nous maltraite pis nous bardasse à droite pis à gauche, la roche est là, elle nous attend. On peut aller faire la même voie, le même bloc, les mêmes mouvements qu’on a déjà fait cent fois avant, et on peut retrouver une certaine paix, un certain équilibre, dans ces moments-là.
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